Les Ehpad associatifs et publics au bord du déficit généralisé

Crédit photo DR

Un système « à bout de souffle », des établissements et services d’autonomie à deux doigts de la faillite… il y a urgence estiment les principales têtes de réseaux associatives et publiques du grand âge. Selon eux, le défi du vieillissement exige une refonte totale des mécanismes de financement de l’autonomie.

L’exercice est inhabituel, mais les circonstances le sont tout autant. Treize fédérations et associations du secteur du grand âge et de l’autonomie tirent conjointement la sonnette d’alarme sur la situation budgétaire critique des établissements et services d’autonomie à domicile dont elles sont gestionnaires. Déjà inquiétante en 2022, la situation s’est aggravée en 2023 puisque 75 % des quelque 52 000 Ehpad, résidences et services à domicile sous gestion publique ou associative à but non lucratif devraient clôturer leur exercice annuel avec un résultat déficitaire.

Déficit généralisé

« Ce n’était jamais arrivé dans l’histoire de notre secteur. En 2024 et 2025, ce déficit pourrait se généraliser à l’ensemble de nos établissements et forcer certains à l’arrêt de leur activité », déplore Emmanuel Sys, président de la Conférence nationale des directeurs d’établissements pour personnes âgées et handicapées (CNDEPAH). Partout, les aiguilles sont passées dans le rouge : il y a quelques jours, les résultats d’une enquête menée au sein des Ehpad appartenant au périmètre de la Fédération publique hospitalière (FPH) révélait que presque 85 % d’entre eux accusaient un déficit en 2023. Au sein de la Fehap, l’enquête économique annuelle sur la situation des établissements faisait état d’un trou global dans la caisse de 110 millions d’euros en 2022 et de 216 millions en 2023.

Sous la triple conjonction des revalorisations salariales accordées au titre du Ségur de la santé qui ont vu les dépenses de personnel grimper de 10 %, de l’inflation qui a fait exploser leurs frais de fonctionnement dans les mêmes proportions et du désengagement financier de certains départements, la trésorerie des établissements est désormais à l’os. Et les 100 millions du fonds d’urgence débloqués l’été dernier par le gouvernement Borne à la suite de la remise du rapport Pirès-Beaune sur les Ehpad sont unanimement jugés insuffisants pour faire face au besoin… même pour financer un simple « plan de sauvetage » de très court terme.

>>> Lire aussi : Ehpad et SAD : comment seront répartis les 695 millions d'euros promis par Aurore Bergé

Selon les estimations des experts de la concertation sur le grand âge de 2019, compilées au sein du rapport Libault, c’est de 10 milliards dont aurait besoin le secteur pour faire face aux défis du vieillissement qui verra les plus de 60 ans passer de 17 millions aujourd’hui à presque 30 à l’horizon 2030. Le conseil de l’âge, pour sa part, estimait les besoins à 13 milliards.

Hold-up sur la CNSA

Pourtant, des fonds pourraient être immédiatement disponibles. A commencer par le 1,3 milliard d’excédents que devrait dégager la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) en fin d’année suite à une réaffectation du produit de la CSG. Soit à peu de choses près le montant du nouveau fonds d’urgence que réclame le collectif pour redonner un peu d’oxygène aux établissements et services d’autonomie pour 2024-2025. Sauf que cet excédent devrait être récupéré par l’Etat en dépit de la vocation initiale de la caisse, chargée de financer les politiques liées à la dépendance et au handicap.

>>> Lire aussi : En attendant une grande loi, les vœux de la « 5e branche »

Au lieu de cela, seule une enveloppe de 150 millions devrait être accordée aux collectivités départementales afin de rembourser les avances qu’elles accordent aux établissements… « Ce n’est pas la première fois que l’Etat utilise la CNSA à une autre vocation que la sienne », s’agace Pascal Champvert, président de l’AD-PA, l’association des directeurs au service des personnes âgées. Selon lui, au fil des années et des réorientations de crédits, ce sont 20 milliards qui ont été retirés de la trésorerie de la CNSA pour être affectés à d’autres postes de dépenses. « Un hold-up ! », s’énerve-t-il.

Refonte générale du système

Aujourd’hui, toutefois, les treize réseaux d’établissements et de services d’autonomie ne se contentent plus de demander une rallonge budgétaire. « Le système est à bout de souffle. Nous ne pouvons plus tenir les missions telles qu’on nous le demande », juge Marie Aboussa, directrice du pôle offre sociale et médico-sociale chez Nexem.

>>> Lire aussi : Ehpad publics : les maires bretons attaquent l’Etat en justice

De l’avis général, l’heure serait à une grande remise à plat des mécanismes financiers de l’autonomie pour faire face au « choc démographique » annoncé dès 2030. Une remise des compteurs à zéro qui pourrait notamment passer par une nouvelle aide à la dépendance calculée en fonction des revenus des personnes qui viendrait remplacer une APA désormais insuffisante, un investissement massif de l’Etat qui passerait par des lois de programmation pluriannuelles pour le grand âge, une revalorisation de 5 % des tarifs des Ehpad à la charge des collectivités départementales, une revalorisation générale des salaires qui rendrait ces métiers attractifs ou encore la mise en œuvre d’un nouveau système de calcul des tarifs « hébergement et dépendance » des établissements pour en expurger les dépenses n’ayant rien à y faire et qu’il appartiendrait aux pouvoirs publics de prendre en charge.

Les différents rapports qui se succèdent depuis quelques années fourmillent d’idées dans lesquelles les fédérations et associations gestionnaires se proposent de piocher. A condition cependant que l’Etat donne le go d’une telle refonte du système de l’autonomie…

>>> Le communiqué des 13 organisations du grand âge et de l’autonomie